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Utilisation de l’intelligence artificielle par les entreprises en Belgique [ Article 016 - 21/03/2023]

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Les développements récents dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) laissent présager qu’elle pourrait avoir des répercussions économiques importantes à l’avenir. Ces répercussions pourraient être tant positives, comme le renforcement de la croissance de la productivité structurellement en déclin, que négatives, comme la destruction d’emplois ou la domination croissante exercée par un petit nombre de très grandes entreprises.  Les premiers résultats du projet AI Diffuse de l’OCDE, auquel la Belgique et neuf autres pays participent, montrent que les entreprises sont assez peu nombreuses à utiliser l’IA, a fortiori à la développer en interne. En Belgique, elle est assez bien utilisée, en comparaison avec d’autres pays. Actuellement, peu d’éléments attestent d’un effet positif de l’IA sur la productivité des entreprises, peut-être en raison du fait qu’elle a été introduite récemment. Parmi les dix pays participants, c’est en Belgique que le lien positif entre IA et productivité est le plus marqué. Ce lien est en outre robuste – contrairement à pratiquement tous les autres pays – lorsque l’on contrôle pour des caractéristiques pertinentes des entreprises et leurs investissements complémentaires dans les technologies de l'information et de la communication (TIC). 

Qu’est-ce que l’intelligence artificielle (IA) ?

Les analyses et les recherches quantitatives sur l’IA, particulièrement les recherches comparatives entre pays, doivent se fonder sur une même définition du concept. Montagnier et Ek (2021) dressent un aperçu des différentes définitions de l’IA utilisées dans les enquêtes sur les TIC et font remarquer qu’il est difficile de définir le concept de manière uniforme dès lors que l’IA n’est pas une technologie autonome mais est intégrée dans d’autres TIC (logiciels et matériel). Depuis 2019, les États membres de l’UE mènent une enquête annuelle sur l’utilisation des TIC et du commerce électronique dans les entreprises, pour laquelle ils sont censés suivre les directives et les définitions d’Eurostat. L’enquête de 2021 est la seule à ce jour à contenir des questions sur l’IA, qui est définie comme suit (Statbel 2021) : « L’Intelligence Artificielle désigne les systèmes qui utilisent des technologies telles que : l’exploration de texte[1], la vision par ordinateur, la reconnaissance vocale, la génération en langage naturel[2], l’apprentissage automatique[3], l’apprentissage profond pour rassembler et/ou utiliser des données afin de prédire, recommander ou décider, avec divers degrés d’autonomie, les meilleures actions pour atteindre des objectifs spécifiques. »

Développement et utilisation de l’IA

Le Bureau fédéral du Plan a utilisé des données de l'enquête 2021 sur l'utilisation des TIC et de l’e-commerce par les entreprises (portant sur l'année 2020), anonymisées par Statbel, pour participer, au nom de la Belgique, au projet AI Diffuse mené par le comité de l'industrie, de l'innovation et de l'entrepreneuriat (CIIE) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ce projet prévoit que les pays participants appliquent un code statistique harmonisé aux données d’enquête sur les TIC afin d’analyser, à partir des résultats, l’utilisation de l’IA par les entreprises et de faire des comparaisons entre pays participants. Calvino et Fontanelli (2022) discutent du projet et des premiers résultats pour les dix pays participants (l’Allemagne, la Belgique, la Corée du Sud, le Danemark, la France, l’Irlande, Israël, l’Italie, le Japon et la Suisse). L’analyse descriptive se penche sur les différences dans l’utilisation de l’IA selon les caractéristiques des entreprises comme la taille, l’âge[4] et la branche à laquelle elles appartiennent. Le graphique 1 montre les différences dans le développement et l’utilisation de l’IA dans les entreprises en Belgique, selon le nombre d’employés. Tant le développement que l’utilisation de l’IA augmentent clairement avec la taille de l’entreprise. Parmi les entreprises comptant 250 employés ou plus qui ont répondu, 25% d’entre elles ont développé de l’IA et 42% l’utilisent. Pour les plus petites entreprises, les pourcentages de développement ou d’utilisation de l’IA sont sensiblement plus faibles. L’écart entre les petites et les grandes entreprises est relativement plus important pour le développement interne que pour l'utilisation de l'IA. Dans les dix pays concernés, ce sont les grandes entreprises (250 employés et plus) qui utilisent le plus l’IA.  Calvino et Fontanelli (2022) expliquent ces résultats par les économies d’échelle liées aux coûts fixes élevés de l’utilisation de l’IA et par la nécessité de procéder à des investissements complémentaires dans les TIC (données et logiciels) et les compétences (spécialistes de l’IA). 

Parmi les dix pays, le Danemark prend de loin la tête du classement pour l’utilisation de l’IA : plus de 60% des grandes entreprises l’utilisent. La Belgique se classe en seconde position, avec 42% de ses grandes entreprises, soit un résultat sensiblement plus élevé que dans la plupart des autres pays[5].  

Le graphique 2 montre la part des entreprises belges qui développent ou utilisent elles-mêmes l’IA, selon trois catégories d’âge. En 2020, le développement et l’utilisation de l’IA étaient le moins répandu dans les entreprises âgées de 0 à 5 ans et le plus répandu dans la catégorie intermédiaire (6-10 ans). Au Japon et en Israël aussi, l’utilisation de l’IA est la plus répandue dans les entreprises âgées de 6 à 10 ans.

Au Danemark, en France et en Corée du Sud, ce sont les plus jeunes entreprises (0-5 ans) qui utilisent le plus l’IA. Les données montrent que les jeunes entreprises, davantage que les entreprises plus longuement établies, ont exploité les avancées, depuis 2011, dans l’apprentissage automatique, les réseaux neuronaux et la disponibilité en suffisance de données et de puissance de calcul (Calvino et Fontanelli 2022). 

Le développement et l’utilisation de l’IA sont, sans surprise, plus particulièrement répandus dans les branches intensives en TIC comme la programmation, le conseil et autres activités informatiques ; les services d’information ; les télécommunications et la fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques. Pourtant, certaines branches qui vont moins de soi ont également adopté assez largement l’IA : l’édition, l’audiovisuel et la diffusion (13%) ainsi que les produits chimiques (11%). Parmi toutes les branches, l’édition, l’audiovisuel et la diffusion utilisent le plus largement (38%) l’IA. Viennent ensuite la production et la distribution d'électricité, de gaz, de vapeur et d'air conditionné (27%) et les produits du travail du bois, papiers et cartons, travaux d'impression (23%). Il ressort de la comparaison des pays que l’utilisation de l’IA est plus homogène dans les différentes branches en Belgique, au Danemark, en France et en Italie plutôt qu’en Israël et en Suisse, ce qui laisse supposer que l’IA est plus largement diffusée dans les entreprises des premiers pays cités. 

Dans l’enquête de 2021, il est demandé pourquoi les entreprises n’ont pas recours à l’IA. Le tableau 1 présente les réponses par ordre décroissant d’importance, pour les entreprises de 50 à 249 employés et celles de 250 employés ou plus. L’ordre est le même pour les deux groupes, le manque d’expertise pertinente étant le principal motif de non-recours à l’IA. Les problèmes de disponibilité ou de qualité des données et l'incompatibilité avec les équipements, les logiciels ou systèmes existants constituent également des obstacles relativement importants. Le coût élevé des investissements en IA n’est pas sans importance, mais ne figure pas en tête de liste, même si les trois principaux motifs sous-entendent un coût élevé d’utilisation de l’IA. Les considérations éthiques ou l’hypothèse selon laquelle l’IA ne serait pas utile à l’entreprise se retrouvent en fin de liste[6].

Tableau 1 : Motif pour lequel les entreprises n’utilisent pas l’IA en Belgique
% des entreprises
250 employés ou plus50-249 employés
Manque d’expertise dans l’entreprise 10,1 7,6
Difficultés liées à la disponibilité ou à la qualité des données8,36,2
Incompatibilité avec les équipements, logiciels ou systèmes existants7,86,0
Les coûts semblent trop élevés7,05,5
Préoccupations concernant la violation de la protection des données et le respect de la vie privée4,53,5
Manque de clarté quant aux conséquences juridiques4,43,3
Considérations éthiques2,51,5
IA pas utile à l’entreprise0,71,4
Source: Enquête sur l’utilisation des TIC et de l’e-commerce dans les entreprises (Statbel 2021).

IA et productivité

L’IA est considérée par certains (OCDE 2019, Commission européenne 2020) comme un facteur déterminant de la transformation numérique de l’économie qui, associée au Big Data, à l'internet des objets et à la robotisation, pourrait entraîner une forte hausse de la productivité suite à l'automatisation des processus (avec pour revers de la médaille, la destruction d’emplois)[7]. Elle pourrait pallier le déclin de la croissance de la productivité, qui est observé depuis quelques décennies dans la plupart des pays de l’OCDE (voir Conseil national de la productivité 2019). Aghion, Jones et Jones (2017) évoquent les possibilités qu’offre l’IA de générer de la croissance économique, mais pointent aussi des facteurs susceptibles de limiter son impact. Calvino et Fontanelli (2022) concluent que le nombre limité d’études empiriques abordant les effets de l’IA sur la productivité des entreprises ne livrent pas de conclusions univoques, ce qui pourrait s’expliquer par son introduction récente et les besoins d’investissements complémentaires, comme le soulignent également Brynjolfson, Rock et Syverson (2021).

Dans le projet AI Diffuse, l’utilisation de l’IA est également analysée sous l’angle de la productivité des entreprises. Le graphique 3 présente, pour la Belgique, la part des entreprises qui développent ou utilisent l’IA, selon cinq catégories de productivité du travail (mesurée par le chiffre d’affaires par employé). Tant pour ce qui concerne le développement que l’utilisation, l’IA est la plus répandue en Belgique chez les 10% des entreprises les plus productives et la moins répandue chez les 10% des entreprises les moins productives. On note peu de différences dans l’utilisation de l’IA entre les entreprises relevant des trois catégories intermédiaires.

Les entreprises ayant une productivité proche de la médiane (40-60%) sont plus nombreuses à développer de l’IA que les entreprises plus productives (60-90%). Dans tous les pays qui participent au projet AI Diffuse, à l’exception de la Suisse, ce sont les 10% d'entreprises les plus productives qui utilisent le plus l’IA, mais la différence avec les autres catégories de productivité est moindre qu'en Belgique. Au Danemark et en France surtout, on note peu d’écarts entre les différentes catégories. Les écarts les plus importants dans l’utilisation de l’IA entre les entreprises les plus et les moins productives sont observés en Belgique et en Italie. L’utilisation relativement importante de l’IA par les entreprises qui ne font pas partie des plus productives peut s’expliquer par le grand nombre de jeunes entreprises actives dans l’IA (les jeunes entreprises ne sont en général pas les plus productives les premières années). Le fait que les entreprises les plus productives soient celles qui développent ou utilisent le plus l’IA ne prouve pas nécessairement que l’IA a un impact sur la productivité. En effet, ce résultat peut également indiquer que les entreprises les plus productives sont celles qui ont la plus grande capacité financière à investir dans l'IA.

Les estimations par pays réalisées dans le cadre du projet AI Diffuse montrent que, parmi tous les pays participants, c'est en Belgique que la relation entre l'utilisation de l’IA et la productivité des entreprises est la plus positive (estimations contrôlées pour la taille, l'âge et le secteur d'activité des entreprises). Contrairement à tous les autres pays (à l'exception du Danemark), cette relation reste statistiquement significative lorsque l'on tient compte des applications TIC complémentaires telles que le très haut débit ou l'informatique dématérialisée (cloud computing). Par ailleurs, la corrélation positive se vérifie particulièrement pour les entreprises qui à la fois développent et utilisent l'IA. On n’observe pas de corrélation positive statistiquement significative pour les entreprises qui développent uniquement de l’IA. Par contre, c’est bien le cas pour les entreprises qui ne font qu’utiliser de l’IA. Cette corrélation est toutefois moins forte et moins robuste que pour les entreprises qui à la fois développent et utilisent l’lA.

Pour la plupart des pays, les résultats du projet AI Diffuse sont basés sur des données d’enquête portant sur une seule année. Cela ne permet pas d’estimer les liens de cause à effet des investissements en IA. Les résultats pour les pays pour lesquels plusieurs années sont disponibles montrent que les entreprises les plus productives investissent le plus dans l’IA. En ce qui concerne la France, la relation positive entre l’IA et la productivité n’est plus statistiquement significative dans les grandes entreprises lorsque l'on tient compte de leur productivité antérieure. Bäck et al. (2022) mettent en évidence, pour la Finlande (hors projet AI Diffuse), un impact de l’IA sur la productivité, mais seulement pour les entreprises de plus de 499 employés et, en outre, avec un décalage d'au moins trois ans. Il est intéressant de constater qu’ils n’identifient aucun impact non plus dans les entreprises qui ont été promptes à utiliser l’IA, ce qui pourrait laisser supposer un problème d’investissement hâtif. Comme le soulignent Brynjolfson, Rock en Syverson (2021), l’absence actuelle d’indications claires d’un impact positif de l’IA sur la productivité des entreprises peut résulter de son introduction récente et de la nécessité d’investir dans les TIC et des compétences complémentaires pour qu’elle soit rentable à terme. Il est également possible que, en dépit des avancées évidentes réalisées dans le domaine de l'IA, comme pour les vagues précédentes d'IA (voir OCDE (2019) pour un bref historique), les attentes concernant son impact économique soient exagérées. Si, comme certains le pensent, l’intelligence artificielle devait effectivement entrainer à l’avenir une forte hausse de la croissance de la productivité, il faudrait tenir compte des répercussions potentiellement négatives sur l'emploi[8], mais aussi d’une domination accrue du marché par un petit nombre de très grandes entreprises. Par exemple, Babina et al. (2022) constatent qu'en investissant dans l'IA (en particulier dans le Big Data), les grandes entreprises peuvent davantage accroître leurs parts de marché - principalement par l'innovation de produits - ce qui favorise une nouvelle concentration du marché.

Références

Acemoglu, D. (2021). Harms of AI, NBER Working Paper 29247, National Bureau of Economic Research.

Aghion, P., Jones, B. F. & C. I. Jones (2017). Artificial Intelligence and Economic Growth, NBER Working Paper 23928, National Bureau of Economic Research.

Babina, T., Fedyk, A., He, A. X. & J. Hodson (2022). Artificial Intelligence, Firm Growth, and Product Innovation, NBER preliminary draft.

Bäck, A., Hajikhani, A., Jäger, A., Schubert, T. & A. Suominen (2022). Return of the Solow-paradox in AI? AI-adoption and firm productivity, Papers in Innovation Studies 2022/1, Lund University, CIRCLE - Centre for Innovation Research.

Brynjolfsson, E., Rock, D. & C. Syverson (2021). The Productivity J-Curve: How Intangibles Complement General Purpose Technologies. American Economic Journal: Macroeconomics, 13 (1), 333-372.

Calvino, F.  & F. Fontanelli (2022). A portrait of AI adopters across countries: Firm characteristics, assets’ complementarities, and productivity, OECD, Directorate for Science, Technology and Innovation, Committee on Industry, Innovation and Entrepreneurship, DSTI/CIIE(2022)16/REV1.

Commission européenne (2020). Livre blanc sur l’intelligence artificielle. Une approche européenne axée sur l’excellence et la confiance, COM(2020) 65 final, Bruxelles.

Conseil national de la productivité (2019). Rapport annuel, https://www.cnp-nrp.belgium.be/

Hoffmann, M. & L. Nurski (2021). What is holding back artificial intelligence adoption in Europe ?, Policy Contribution 24/2021, Bruegel.

Montagnier, P. & I. Ek (2021). AI measurement in ICT usage surveys: A review, OECD Digital. Economy Papers No. 308, OECD Publishing, Paris.

OCDE (2019). L’intelligence artificielle dans la société, OECD Publishing, Paris.

Statbel (2021). Enquête sur l’utilisation des TIC et de l’e‑commerce dans les entreprises.

 

[1]     L’exploration de texte (text mining) désigne l’utilisation de techniques avancées de détection automatique de similarités dans des (grands) textes. (Statbel 2021).

[2]     La Génération en Langage Naturel (GLN) (NLG : Natural Language Generation) est la capacité d'un programme informatique à convertir des données en représentation en langage naturel. (Statbel 2021)

[3]     L'apprentissage automatique (machine learning, tel que l’apprentissage profond : deep learning) implique l’« entraînement » d’un modèle informatique pour mieux exécuter une tâche automatisée, p. ex. la reconnaissance des formes. (Statbel 2021).

[4]     L’âge d’une entreprise correspond au nombre d’années depuis sa création.

[5]     Sachant que les données des différents pays ne portent pas toujours sur la même année et ne suivent pas toujours les mêmes définitions, une certaine prudence est de mise dans la comparaison entre pays (voir Calvino et Fontanelli (2022) pour plus de détails).

[6]     Hoffman et Nurski (2021) se sont penchés sur les obstacles à l'utilisation de l'IA en Europe et évoquent aussi les problèmes liés à la définition de l'IA et à la disponibilité de données sur le sujet. 

[7]     Acemoglu (2021) donne un bon aperçu des problèmes économiques et sociétaux que pourrait soulever l’intelligence artificielle. 

[8]     Il s’agit de la destruction d’emplois qui ont un lien direct avec la technologie. Une hausse de la productivité pourrait déboucher sur une progression généralisée de l’emploi (vu l’augmentation de la valeur ajoutée).

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